Pléiade publications - Poésie
CET ARBRE EST MON AMI
Cet arbre est mon ami
Qui se penche sur l'eau.
L'effleurant de ses feuilles
Il rassemble les fils
Du temps qui se dérobe
Et file l'écheveau
Assorti des couleurs
Du temps qui prend son temps.
La caresse est légère
La feuille et l'eau frémissent.
S'écoulant feuille à feuille
Un message invisible
Relie la feuille et l'eau
Instant d'éternité
Frôlement de bonheur
L'une et l'autre demeurent
Illusion du miroir.
L'arbre est là qui se dresse
Et s'incline à la fois.
Il confie son image
Au reflet qui s'écoule
Pour renaître sans cesse
Le futur se dérobe
Le présent tergiverse
Entre l'arbre et le fleuve
Un fondu-qui s'enchaîne.
Sédentaire et nomade
Le message est multiple.
Une tige si fine
Une feuille si tendre
Un flot si résolu
Un accord si ténu
Un instant si fugace
Qu'un sursis se convoque
C'est la vie qui respire.
Cette vie est ma vie
Elle est une et multiple.
Le filet des racines
Le besoin de l'envol
Le temps de la caresse
Le souffle du soupir
L'aile du messager
La feuille qui résiste
Et l'eau qui s'enfuit.
Eloigné de son arbre
Le message se perd.
Le nombre du feuillage
Est celui de ses feuilles
Le nombre de mes jours
Est celui des espoirs
Que mon cœur a confiés
Au courant du hasard
Jusqu'aux mers de l'oubli.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 30 juin 2019
MUSIQUE DE L'ÂME
La musique de l'âme
Court comme un filet d'eau
Au murmure invisible
Qui jamais ne tarit.
La musique de l’âme
Pulse comme une étoile
Dont la source furtive
Est suspendue au ciel.
La musique de l’âme
Chante enfouie sous les herbes
Et croiser son parcours
Ne tient que du hasard.
Chante, mon âme, chante,
Que j'entende la vie
Et sa claire musique
Exalter l'univers.
Chante, mon âme, chante
Que je trouve un chemin
Dans la brume du doute,
Le brouillard du chagrin.
Chante, mon âme, chante
Et rejoins la chorale
Des rires de l'enfance
Qui coulent en cascades.
Le ruisseau de la vie
Serpente entre les roches,
Se perd dans les crevasses,
Se dissipe en vapeurs.
Le ruisseau de la vie
Grossit dans la tempête
Et roule ses colères
Jusqu'à l'oubli des mers.
Le ruisseau de la vie
Pillé et détourné
S'assèche et vient mourir
Dans les plis du désert.
Ame, ma belle âme
Qu'attends-tu pour t'extraire
De ton lit et filer
Vers la source éternelle ?
Ame, ma belle âme,
Que sont tes affluents
Devenus, qui courraient
De conserve avec toi ?
Ame, ma belle âme,
Dans la pêche aux étoiles
Le filet de la vie
A relevé sa traîne.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon 18 novembre 2018
Doucement s'éteindre
Se trouver au matin
Tout de joie revêtu,
Et traverser le jour
Comme un filet d'or.
Devenir le soleil
Et grimper dans la joie
Jusqu'à midi tapant
Pour doucement s'éteindre,
Et ne jamais attendre
Les lueurs du couchant
Les ombres de la nuit
Les cris de l'horizon.
S'en aller sans combattre
Juste le ressentir
Comme un frisson discret
Une brise légère,
Se savoir attendu
Se laisser emporter
Ecouter l'univers
Et d'un coup tout comprendre.
Il est de galaxies
Autant que de mortels
Et il est de pensées
Autant que de soleils,
Et il est de questions
Autant que de bonheurs
Et il est d'espérances
Autant que de trous noirs.
Cet instant est le mien
Parce qu'il est l'ultime
Et il est des instants,
Autant que d'univers.
J.M. Brandt, Villars-sur-Ollon 29 juillet 2018
La poésie m'a déserté
La poésie m'a déserté,
Me laissant assoiffé et seul
Dans la multitude du sable
Et l'aridité du soleil.
Les vents m'ont griffé et creusé
Me laissant prostré, sans défense,
Sous la pression des éléments
Et la fuite de l'horizon.
Je me souviens des Temps Anciens,
De la pluie, des lacs et des arbres,
Du chant de l'eau et des oiseaux,
Du parfum mouillé de la vie.
Ici fleurissait l'Ecriture
Et les fumées cabalistiques
Reliaient le ciel et la terre
Des fils dorés de la Parole.
Les femmes revêtues de blanc
Leurs longs cheveux voilés de fleurs
S'avançaient de leur pas ailé
En chantant l'amour et la vie.
Et la poésie fleurissait
D'un scintillement de cristal
Sur les murs et sur les lèvres
Comme un ciel gavé d'étoiles
Et la prière s'élevait
En longues volutes d'encens
Autour des colonnes du temple,
Embaumant la vie et la mort.
Le passeur embarquait les âmes,
En échange de quelques vers
Il fendait la désespérance
Ahanant vers la rive heureuse.
Mon escarcelle a laissé choir
Dans la dune de sable rouge
Qui l'a aussitôt absorbée
La rime ultime de ma vie.
La poésie m'a déserté
Et avec elle un dernier souffle
Me crapahute avec le sable
Qui se confond avec le vent.
Jean-Marie Brandt, Pully, 3 juin 2018
Une brèche
Le clavier de la mer se creuse et se redresse,
Alternance ivoirine à l'éclair noir et blanc ;
Le rythme fusionnel de la vague et du vent
Mélange la musique et son cri de détresse.
Le vaisseau de l'espoir emporte la promesse,
Fragile instantané d'un sourire d'enfant ;
L'oiseau du souvenir au coeur de l'océan
Effleure la houle et le vent de sa caresse.
L'espace et puis le temps, fins rouleaux torsadés,
Déploient sur l'horizon un tissu dégradé
Que le soleil couchant imprime de flammèches.
La nuit tombant du ciel étire ses lueurs
A l'infini du jour qui trébuche et se meurt.
L'espoir dans la tempête a ouvert une brèche.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 15 décembre 2017
Lettres d'Or
Les neiges phosphorescentes
Déroulent en lettres d'or
Les textes cabalistiques
Que calligraphie la lune
Et la montagne à son tour
Présente son livre blanc
Aux étoiles de cristal
Qui frémissent dans la neige
Face à face terre et ciel
Echangent en grand secret
Le message universel
Qui lie la gerbe du monde
Le manuscrit de la vie
Ouvre à chacun d'entre nous
Une page réservée
Qui se raconte à nous-même
La musique et la parole
Entrelacent volubiles
Ce grand œuvre mystérieux
Que la poésie déchiffre.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur Ollon, 30 décembre 2016
Trop tard
Mon livre s'est fermé, on est venu le prendre
Le temps de la lecture est pour moi achevé
Et le sceau du secret se referme gravé
Dans le marbre éternel aux veines bleues et tendres.
Les phrases et les mots devenus tas de cendres
Se dispersent au gré de credo délavés
Et le cœur palpitant d'un poème rêvé
Est foudroyé d'éclairs que rien ne laisse attendre.
Une rime encore, ou peut-être un mot un seul,
Et le texte expirant enchâssé d'un linceul
Aurait pu grand ouvrir la porte des étoiles !
Suspendu à la vie, à portée de la main
C'est ce rien d'écriture, un segment de chemin
Que le verbe infini cache sous son voile.
Jean-Marie Brandt, Dissidents-de-la-pleine-lune, 19 septembre 2016
Face-à-face
Se vêtir au matin d'un habit de lumière
Et réfléchir sur soi les rayons du soleil
C'est renoncer au rêve et chasser le sommeil
Qui tenaient dans la nuit les âmes prisonnières.
Formuler le bonjour d'un récit de prière
Et placer face-à-face un être et son pareil
C'est accepter de croire à l'aube d'un éveil
Qui rendra doucement les âmes familières.
Le reflet de la mer dans l'écume des yeux
Court jusqu'à l'horizon déposer ses adieux
Distillant tout le sel puisé dans la mémoire.
La vague scintillante oscille à l'infini
Et révèle au grand jour les secrets de la nuit
Langage de la vie au mystérieux grimoire.
Jean-Marie Brandt, Pully, 25 juin 2016
Que je voudrais ô vent
Que je voudrais ô vent m'élancer avec toi !
Et dans un souffle un seul au fil des grands espaces,
Franchir les galaxies sur l'aile d'un rapace
Pour laisser mon passé, ma maison et mon toit !
Qu'une feuille frémisse ou qu'un astre murmure
Et me coulant dans le bruissement de la nuit,
J'arrêterai ma course au seuil de l'infini
Pour me mettre à portée du verbe qui rassure.
Du fond de l'inconnu montera un discours
M'informant qu'en ces lieux s'achève mon parcours.
J'écouterai alors tour à tour chaque étoile
Et accordant mon âme au son de l'univers
Je répondrai docile à l'écho du désert
Jusqu'à ce qu'à mes yeux l'infini se dévoile.
5 avril 2016, Jean-Marie Brandt
« La poétesse Sapho au-delà des préjugés, essai de monographie »
Sauras-tu jamais ?
L'oiseau sur la branche
Là qui me regarde
Est au rendez-vous.
Son chant qui ruisselle
Le long des feuillages
Se mêle à la brise,
Barque messagère
Poussant vers le large
Des forêts obscures;
Le chant qui s'envole,
Fait le tour du monde
Et de mon histoire;
Il est des refrains
A répétition
Qui nous sont offerts
Pour nous faire entendre
La fragilité
Des choses du monde.
Dis, toi que voilà
Es-tu à l'écoute
Des choses du monde ?
Entends-tu le chant
De ce face-à-face
Qui t'est destiné ?
De ce face-à-face
Dans la nudité
Du regard de l'autre ?
Sais-tu quel il est
Cet autre toi-même
Perché sur son arbre ?
Sais-tu que son chant,
S'il ne te parvient,
N'a pas d'existence ?
Et que cet oiseau
Privé de ta face
Prendra son envol,
Laissant cette branche
Muette à jamais
Trembler sous la brise ?
Dis, toi que voilà,
Perché sur ta vie,
Que deviendras-tu ?
Avant que le chant,
Qui se fait rencontre
De l'Être et de soi,
Ne se taise dans
Les dénis de face
Les refus d'écoute
Sauras-tu jamais
Offrir le sourire
Qui me retiendra ?
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 21 novembre 2015
IMPRESSIONNISME AU SOLEIL LEVANT [1]
Sous mon pied le sol cède et la vie se dérobe,
Glissement silencieux, illusion d'un instant,
Tel un leurre inédit surgit l'inexistant,
Feux du soleil masqué que l'horizon englobe.
Me voici intégré dans un monde antipode,
Inversion de lumière, remontée dans le temps,
Tel le cri de naissance éclate un air d'antan,
Rébus du souvenir que l'émotion décode.
Et si la mort ouvrait cette autre dimension,
Où origine et fin partagent la fusion
Du parallèle aux traits que l'infini relie ?
C'est que notre univers est un puzzle à l'essai
Où la pièce et le tout ouvrent au même accès,
Seul le mystère est là qui nous réconcilie.
.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 21 novembre 2015
[1] Selon le tableau de Claude Monnet
LÉTHÉ
Saule pleureur mon Ami, mon Frère,
D'où te vient cette mélancolie
Qui se confond avec ton feuillage ?
Je te vois tout ruisselant de larmes
Etoiles ciselées dans le noir
Qui difractent lumière et mémoire.
Dans le ciel au murmure infini
Dansent les feuillets du souvenir
Qui relie le présent au passé.
La voute d'étoiles et de feuilles
Bouillonne des chagrins et des joies
Qui blanchissent nos espoirs d'écume,
Telle une cascade scintillante
Dont le torrent silencieux s'écoule
Emportant chaque esprit dans l'oubli.
Jean-Marie Brandt, 14 octobre 2015
RELIEF SUR L'HORIZON
Relief à l'horizon la montagne est silence,
Sa silhouette incarne un souffle calcifié
Et le pli du drapé dessine une présence
Qui joue la geste de l'acteur disqualifié.
Chaînon fixe du temps la montagne est patience,
Son cœur glacé bat d'un roulement pétrifié
Et le rythme inaudible évoque cette cadence
Qui rappelle à la vie le coureur asphyxié.
La montagne respire et la pierre est mutante,
Une métamorphose à la force prégnante
Transmute la matière, repousse l'infini,
Et l'univers se crée et la montagne est vie,
Le souffle du temps est là qui différencie
Le cri de l'espérance et le chant du déni.
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 18 août 2015
TOUT N'EST QUE RYTHME ET PATIENCE
L'univers est génétique
Molécule et galaxie
Matériaux et énergies
Trous noirs points de non-retour
Soleils pôles d'éruption
Souffles, ondes et matières
La mort et la vie se fondent
Et se confondent en une
Seule source de mystère.
Tout n'est que rythme et patience
L'univers est aphorisme
Passé présent avenir
Temps zéro et temps limite
Commencements encratiques
Issues apocalyptiques
Raisons, passions et croyances
Le créé et l'incréé
S'opposent et se proposent
A nos interrogations.
Tout n'est que rythme et patience
L'univers est devenir
Il n'est point d'inorganique
Il n'est point d'inanimé
Car il n'est que biosphère
La partie est dans le tout
Et le tout dans la partie
Car le souffle est la matière
Et la matière est le souffle
Comme la Parole est Une.
Tout n'est que rythme et patience
Jean-Marie Brandt, Villars-sur-Ollon, 18 août 2015